Relations particulières avec l’alcool

Rares sont ceux qui sont complètement indifférents à l’alcool. Certains en boivent avec modération, tandis que d’autres ont tendance à en abuser, et ceux qui n’en boivent pas du tout ont souvent une raison très forte de s’en abstenir.

Mais avant de comprendre pourquoi nous buvons, prenons un instant pour nous questionner sur la nature de l’ivresse. De quoi s’agit-il exactement? Que se passe-t-il dans le corps quand on consomme une quantité d’alcool suffisante pour devenir « saoul »?
L’alcool a des effets multiples sur les fonctions cognitives et neuronales. Il y a aussi un autre effet particulier de l’alcool : il est stimulant et inhibiteur en même temps. La plupart des drogues ont un de ces effets ou l’autre, tandis que l’alcool entraîne les deux effets. L’effet inhibiteur de l’alcool est de calmer l’anxiété et de d’inhiber la fonction des cellules du cerveau, tandis que l’effet stimulant est d’augmenter l’activité et l’éveil.
Les adultes de tous les âges sont susceptibles de consommer de l’alcool, mais un groupe d’âge est particulièrement à risque d’en abuser. Sans surprise, il s’agit des jeunes adultes, réputés pour leurs beuveries entre amis. 
Si un ami vous propose un verre, c’est ce qui vous vient spontanément à l’esprit qui influencera votre décision de l’accepter ou non, ou même la vitesse à laquelle vous boirez. 
Mais d’où viennent ces associations? Comment se développent-elles? Ces associations se développent très tôt dans la vie. Car dans notre culture, on est en contact très jeunes avec l’alcool. On va donc apprendre de nos parents selon la relation qu’ils entretiennent avec l’alcool. Est-ce qu’ils sont du genre à s’ouvrir une bière en rentrant le soir pour décompresser d’une journée atroce au bureau? Ou plutôt à ouvrir une bouteille de vin seulement quand ils reçoivent des amis à la maison? On apprend ces choses quand on est enfant. 
Inégaux devant l’alcool
C’est bien connu : certaines personnes sont plus fragiles que d’autres face à l’alcool. Certaines constitutions psychologiques ou situations de vie semblent effectivement nous rendre plus sensibles aux effets de l’alcool. Mais pourquoi cette inégalité? L’alcool est un des grands médicaments que l’humanité a produits. Quand on est dans une situation de détresse, quand on vient de se séparer, quand on a une peine d’amour, quand ça ne va pas au travail – l’ensemble des problèmes humains qui créent une sorte de détresse — c’est évident que l’alcool permet de diminuer l’anxiété, car c’est un anxiolytique. C’est un bon médicament. Mais quand l’alcool devient de l’automédication, on est immédiatement sur la pente glissante, et ce, même à de faibles quantités. L’alcool n’est donc pas un produit ordinaire. C’est une merveille : et à faible dose, bien consommé, ça agrémente notre vie avec les autres et avec nous-mêmes. Cependant, c’est un produit qui cause des problèmes, et il faut être capable de composer avec cette complexité. 
Mais quelle est la limite à suivre pour ne pas basculer dans le mauvais usage de l’alcool? Et à quel moment est-ce que l’effet devient de l’intoxication malsaine?  L’important, c’est de rester en contrôle de ce qu’on dit et de ce qu’on fait. 
Il est important de comprendre qu’en matière de consommation d’alcool, il y a vraiment deux cultures : la culture du goût et la culture de l’effet. Dans la culture du goût, l’usage est plutôt de boire un bon verre de vin en mangeant par exemple, de discuter de son bon goût ou d’autre chose et de lentement savourer ce bon plaisir. Mais dans la culture de l’effet, on boit plus rapidement pour, justement, ressentir l’effet euphorisant de l’alcool.
La culture de l’effet entraine directement l’excès, explique-t-il. Pourquoi? Car ce qu’on recherche, c’est l’euphorie et là, on se sert de l’alcool comme d’une drogue, ce que chimiquement il est. 
Mais comment savoir si on est dans la pente glissante qui nous entraine vers un comportement plus à risque? La réponse à cette question n’est pas la même pour tout le monde : Si on est une femme menue, pesant 100 livres par exemple, la consommation d’alcool qui va devenir à risque s’instaure très rapidement. Parce que quand on boit, notre taux d’alcoolémie monte très vite. Il peut aussi y avoir des gens qui ont des cas d’alcoolisme dans la famille : dans ce cas-là, il y a une vulnérabilité biologique à l’alcool qui fait qu’il faut être extrêmement vigilant. Ensuite, on a finalement le gars entre 15-25 ans tout en muscles, qui s’entraine et qui boit après avoir joué au hockey ou autre, et qui peut boire 3-4 bières sans en ressentir d’effet : lui, il est vraiment à risque.
Les gens qui supportent bien l’alcool semblent forts, vigoureux et merveilleusement virils, explique-t-elle. Mais ils sont plus à risque, car le taux d’alcoolémie est là. Et ce n’est pas parce qu’on porte l’alcool que notre taux d’alcoolémie n’est pas élevée. Dans la culture populaire, c’est un signe de virilité. Mais dans l’univers de la santé, c’est un facteur de risques. L’alcool est un produit complexe qui contient ses contradictions et qui est également un produit qui ne peut pas être consommé de la même manière par tout le monde.
Des types de personnalités ou de constitutions physiques rendent donc certaines personnes plus à risque de développer des problèmes de dépendance à l’alcool.
Dans l’enfance et l’adolescence, la personnalité est un très bon marqueur de risques, explique-t-elle. Plusieurs études ont démontré que même à l’âge de 3 ans, la personnalité peut prédire qui va développer des problèmes de santé mentale et des problèmes avec l’alcool. 
Quatre traits de personnalités fragilisent les gens face à l’alcool :
— l’impulsivité et la difficulté de penser avant d’agir
— la recherche de sensations fortes (personnes qui ont besoin de beaucoup de stimulations et qui s’ennuient         facilement)
— la sensibilité à l’anxiété (profil de personnalité associé avec risques de panique et d’anxiété)
— le désespoir et la tendance à avoir des pensées négatives.
Mais comment se fait-il que des personnes avec des types de personnalités aussi différents puissent développer le même genre de problèmes avec l’alcool? Il faut savoir que l’alcool est une drogue qui a plusieurs effets sur le cerveau et sur le corps, répond Patricia Conrod. C’est non seulement un sédatif, mais aussi un stimulant et un analgésique, ça peut réduire la douleur. Ça peut réduire la peur. Ces profils de personnalité rendent le cerveau plus sensible aux effets positifs de l’alcool. 
Pour sensibiliser les jeunes plus à risque de développer un problème de dépendance avec l’alcool, Patricia Conrod et son équipe ont mis sur pied un programme d’intervention auprès des adolescents.
Des jeunes plus à risque face à l’alcool
Les jeunes adultes sont définitivement plus à risque de consommer de l’alcool de manière excessive. Et en dépit de leur légendaire insouciance, il n’en demeure pas moins que leur cerveau est encore en maturation et plus sensible aux effets néfastes de l’alcool. Le cerveau des jeunes se développe en différentes phases et termine son développement entre 23-24 ans. Or, comment se développe le cerveau? Dans la troisième phase, de 15 à 23 ans, du lobe occipital vers le lobe frontal. Qu'est-ce qu'il y a dans le lobe occipital? La sensation de douleur, de plaisir, de prise de risques, des excès. Ça, c'est ultradéveloppé à 15-16 ans. Et qu'est-ce qui se développe en dernier, en avant? La planification, la prévoyance et le jugement. C’est donc ce processus du développement du cerveau qui permet d’expliquer pourquoi autant de jeunes universitaires brillants peuvent se comporter comme des imbéciles en buvant comme des fous : Il y a une différence entre l’intelligence et le jugement.
La consommation d’alcool est beaucoup plus néfaste chez les jeunes adultes que chez leurs aînés.
Les récentes données d’imagerie cérébrale ont démontré que sur un organe en développement, le cerveau en développement, une goutte d’alcool est beaucoup plus dommageable que sur un organe qui est complètement formé. Chez les jeunes, la consommation excessive d’alcool laisse des séquelles. On sait que ça entraine des séquelles, notamment sur la mémoire, et possiblement à long terme. On ne les a pas encore tous identifiés, mais on sait que chez les jeunes, il y a des dommages que les adultes eux, ne vivent pas. C’est vraiment paradoxal, car les jeunes sont ceux qui sont le plus portés vers la consommation à risques; les jeunes sont ceux dont le cerveau les prédispose le plus à consommer de manière excessive et en même temps, ce sont eux qui ont un cerveau plus vulnérable aux effets de l’alcool.
Quelle est la limite?
La consommation d’alcool est donc nocive après un certain seuil. Mais quelle est cette limite exactement? Il n’est pas possible de répondre à cette question avec précision. L’excès d’alcool endommage le cerveau, soutient-il. Il n’y a aucun doute là-dessus, mais on parle d’excès d’alcool. De consommations d’alcool qu’un alcoolique consommerait pendant plusieurs années. Par contre, on ne sait pas à quelle dose et à quel niveau de consommation on passe de “pas nocif” à “nocif”. 
Ce qui vient encore plus compliquer les choses, c’est que certaines études ont démontré que consommé avec modération, l’alcool – tout spécialement le vin rouge — entraine certains effets bénéfiques : meilleure espérance de vie, moins d’incidence de démence. Le hic, c’est qu’on ne connait pas bien les raisons de cet effet protecteur, à part peut-être que l’alcool diminue l’anxiété, ce qui peut être bénéfique sur certains points, notamment le risque de maladies cardio-vasculaires. De plus, les scientifiques ne connaissent pas le seuil de consommation à partir duquel ces effets bénéfiques sont annulés, et où la consommation d’alcool devient au contraire très néfaste.
Cette zone grise ne doit pas faire oublier qu’avant toute chose, la modération devrait demeurer toujours de mise : Quiconque dépasse cinq verres par occasion commence à prendre de sacrés risques. Et quand on dépasse huit verres par occasion, là, on est à un niveau de consommation dangereuse. Ne serait-ce qu’une seule fois, c’est une fois de trop !
Et quand on parle de risques, ils sont bien réels et la liste est longue : intoxication, violence, relations sexuelles non désirées ou non protégées, le risque de faire une chute et de faire une commotion cérébrale puis le risque de conduire avec les facultés affaiblies.
Et dans les cas de très grandes intoxications à l’alcool, deux autres risques viennent s’ajouter : le coma éthylique ou l’arrêt respiratoire. Même un seul épisode de très grande consommation peut être mortel.
Éduquer les jeunes : un processus qui doit commencer très tôt
À la lumière de tous ces risques, quelle devrait être la marche à suivre pour les parents d’adolescents? Leur interdire toute consommation d’alcool?
Il s’agit d’un processus qui commence beaucoup plus tôt dans une famille :  La première chose qu’un parent doit faire, c’est surveiller sa consommation d’alcool quand les enfants sont très jeunes et de se dire “La façon dont je vais boire va déterminer la manière dont lui va consommer. Le principal prédicteur de la grande consommation d’alcool chez les jeunes, c’est la consommation des parents. Et deuxièmement, il faut commencer à en parler dès que les enfants ont ce qu’il faut pour comprendre. Et il faut rappeler aux enfants que l’alcool est un produit qui donne du plaisir, mais qui est aussi dangereux… Et c’est quelque chose qu’ils doivent apprendre, dès 5 ans, 6 ans ou 7 ans. 
Faut-il vraiment leur parler de l’alcool aussi jeune? Absolument. Si on a une arme de feu dans la maison, à 5 ans les enfants savent déjà qu’un fusil c’est dangereux… 

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